Naissance d’un collectif, histoire d’une publication

Elisabeth DONNET-DESCARTES. Isabelle DONNIO et Psychologues
Membres fondateurs en 2000, du premier collectif "psychologues acteurs de santé publique"

Dans le cadre de politiques sanitaires et médico-sociales cherchant à promouvoir la place des usagers, tant au niveau de l’évaluation des besoins que de la construction des réponses, un certain nombre de psychologues sont engagés dans des actions visant à soutenir cette dynamique. S’appuyant sur leurs expertises professionnelles initiales et développant de nouvelles pratiques et méthodes, ils contribuent à la production des savoirs utiles dans ce champ nouveau d’exercice où la construction des réponses s’appuie sur une connaissance la plus approfondie possible des situations de besoin des usagers. Quelques-uns, réunis depuis le printemps 2000 dans un collectif ouvert, ont trouvé utile de poser la question du rôle et de la place des psychologues dans le champ de la santé publique aux côtés des autres acteurs.

En 2002, au terme de deux années de réflexion, ils ont voulu, dans le cadre d'un colloque, partager leurs interrogations et hypothèses et ouvrir le débat à de nouvelles questions avec les acteurs concernés. Ce sont les contributions de ces journées qui ont servi de matière à la construction de cet ouvrage.

Un premier collectif d'acteurs locaux

Toute cette démarche est née de rencontres de proximité, d'activation d’institutions ressources et de réseaux. Le souhait y était de rendre des évolutions visibles et lisibles, tant sur le versant des pratiques professionnelles spécifiques aux psychologues, que sur le versant plus général de leurs contributions en santé publique. Car si la certitude d'oeuvrer dans ce champ à partir de leur approche spécifique était une évidence pour certains, ils restaient très démunis pour répondre aux multiples partenaires qui interrogent les psychologues sur ce qu’ils sont susceptibles d’apporter de différent et complémentaire des autres professionnels.

Grâce à l'accueil que fit le Professeur Chaperon à quelques psychologues au Département de santé publique de la Faculté de médecine de Rennes 1, et au soutien dynamique qu'il leur a apporté, un groupe a pu se constituer et se mettre au travail. N'hésitant pas à les interroger, à les pousser dans leurs réflexions, il les poussa aussi à agir, en accordant de l’intérêt et peut-être de la valeur, à l’idée d'un "collectif de psychologues acteurs de santé publique", puis au projet d'un colloque. Il avait été le premier à présenter une de ses collaboratrices en tant que « psychologue de santé publique », et à donner une place à part entière aux psychologues dans le dispositif de santé publique qu'il anime. Il fut aussi celui qui donna au groupe le premier « éclairage », les premiers repères sémantiques propres au champ de la santé publique, qu'il présente dans cet ouvrage.

Les questions soulevées dans le cadre des travaux de ce premier collectif d'acteurs locaux en Bretagne ne manquaient pas d'ambition. Il nous paraissait important de préciser l’avancée de la dimension psychologique en santé publique en repérant :
- Les concepts utiles de la psychologie en santé publique
- Les fonctions potentielles des intervenants psychologues
- Leurs domaines et modalités d’intervention
- Les résultats qu’on peut en attendre

Les premiers mois de travaux ne permirent pas de clarifier suffisamment l'ensemble de ces questions. L'idée de les mettre au débat de façon plus large devint une évidence et se concrétisa dans le projet de journées à l'Ecole Nationale de la Santé Publique, toute proche, et à laquelle certains d'entre nous apportaient, en tant que psychologues, leur contribution professionnelle.

Un débat qui prend une dimension nationale

Parti de l'idée de constituer un réseau d'échanges et de construction de savoirs à Rennes, pour des psychologues inscrivant leur contribution sociale dans le champs de la santé publique, notre projet prit dès lors une dimension nationale et pluridisciplinaire. Mais peut-être ne s'agissait-il que d'approfondir une dimension déjà présente dans l'intitulé choisi pour le collectif qui nous désignait dès le départ en tant qu'acteurs de santé publique. Car si un acteur peut se définir comme "un agent ou un groupe organisé d’agents interagissant avec d’autres et se caractérisant simultanément par sa culture, ses intentions et ses stratégies, sa capacité à agir et les ressources qu’il utilise ou qu’il contrôle"1, alors l'idée d'aller à la rencontre d'autres collègues qui se retrouvaient dans nos approches pouvait avoir du sens. Et si nous n'avons pas manqué de réfléchir à cette question du contrôle et des dispositifs de contrôle de l’humain, avec Philippe Lecorps qui témoigne dans cet ouvrage, et au travers de la lecture de l’ouvrage2 qu’il a rédigé avec Jean-Bernard Paturet, philosophe, nous avons aussi pointé le risque, aujourd’hui, que le terme d'acteur, comme ceux d’usager, de réseau, de coordination, soient affectés à tant de champs qu’ils pourraient y perdent leur sens.

Depuis le départ, nous avons osé la jonction peu familière des deux vocables « psychologue » et « santé publique ». Peu familière probablement parce que la représentation sociale de la pratique des psychologues renvoie plus aisément à l’intime du sujet qu’à l’intervention dans l’espace commun ou communautaire. Ces premières journées nationales de psychologues en santé publique ont permis de soutenir cette idée que la santé publique peut aussi être pensée à partir des sujets. Et qu’elle ne désigne pas seulement, d’une part, ce qui concerne la santé des individus composant une population et, d’autre part, ce qui concerne l’Etat dans une population, comme le laisse entendre l’assemblage d’un substantif et d’un adjectif. De nombreux psychologues engagés dans des actions de santé publique sont venus y témoigner combien cela suppose que nous soyons capables de reconnaître la parole de l’autre, sujet, usager, patient… Il a été mis en évidence que l’un des apports du psychologue se situe là, dans cet accueil et cette reconnaissance d’une parole utile, également utile aux sujets et aux professionnels, autant que possible en amont de la construction des réponses professionnelles, mais utile aussi à toutes les étapes des prises en charge sanitaires et médico-sociales.

Plus profondément encore, c’est aussi une « incitation des professionnels de santé et de tous les acteurs de la santé publique à réfléchir au projet politique dans lequel ils s’inscrivent » qu'il nous a semblé nécessaire de promouvoir, avec la conviction qu'en tant que psychologues, nous ne pouvons pas travailler sans réfléchir à ces inscriptions. Les journées furent placées sous le signe de l’interdisciplinarité, de la collaboration entre des personnes aux origines professionnelles très diverses, de la confrontation des pratiques, des questionnements, des fonctionnements et des organisations. Elles ont permis d'avancer sur l’analyse des enjeux de la contribution des psychologues en santé publique et dans la théorisation de leurs pratiques dans ce champ. Chacune de ces contributions pointe comment la mise en question de conceptions initiales et la diffusion de nouvelles approches constituent un exercice constant d’intervention publique des psychologues en lien avec d’autres acteurs d’autres disciplines.

Une publication d'actualité qui engage l'avenir

Aujourd'hui, au moment où nous achevons la rédaction ou la préparation de cette publication, nous savons que la perspective d'une contribution des psychologues en santé publique correspond à des réalités partagées à l'extérieur d'un premier petit cercle. Nous savons aussi que le choix d'inscrire notre réflexion dans le cadre de dispositifs de santé publique (départements de santé publique, école nationale de la santé publique…), avec le soutien actif de leurs responsables, tout en donnant de la légitimité à notre démarche, a permis d'y approfondir, voir d'y ouvrir le débat sur l’articulation entre le singulier et le collectif et la position du psychologue dans les différents espaces de santé publique.

Mais notre objectif initial de rendre plus visibles et lisibles des modalités d’exercice du métier de psychologue qui dépassent le colloque singulier d'un professionnel et d'un patient en soin s'inscrit dans le débat d'actualité. En se contraignant à l'exercice, à côté d'autres acteurs mieux préparés en ce domaine, les psychologues avancent dans la perspective d'en dire un peu plus sur leurs méthodologies d'interventions. En posant le principe de l'interdisciplinarité, nous inscrivons le psychologue dans un rapport d'équité à l'autre (professionnel de discipline différente), en dehors de toute subordination. En clarifiant les enjeux politiques des contributions des psychologues en santé publique, nous soutenons une éthique générale : garantir les droits et la reconnaissance de la subjectivité de l’usager (de la santé publique), sujet sollicité notamment pour devenir partenaire dans la démarche de production et d'évaluation dans le cadre des politiques de santé.

L’ouvrage est composé, non comme une oeuvre scientifique, mais comme le témoignage d’une aventure, d’un parti pris « politique », et d’un avènement, celui de la reconnaissance de la place d'acteurs à par entière des psychologues dans le champ de la santé publique. Au-delà, le travail engagé par le collectif des « Psychologues acteurs de Santé Publique », aujourd'hui constitué en groupe national, se poursuit. La visibilité des psychologues dans les divers lieux de leurs exercices, en rapport avec les questions de santé publique, reste à renforcer. De même les liens et articulations entre le psychologue et les autres acteurs à établir. Mais avant tout c'est la reconnaissance de la subjectivité de l'usager, et son inscription dans une politique communautaire qui est à garantir. Nous avons fait la preuve que les psychologues n'étaient pas seuls à se préoccuper de cette question, mais probablement sont-ils les mieux placés professionnellement pour la soutenir, à condition d'accepter d'engager leur responsabilité clinique dans un champ où bien souvent ils inscrivent déjà leurs contributions sans toujours savoir l'identifier : celui de la santé publique. C'est dans cette perspective que nous continuons d'aller à la rencontre de tous ceux qui, observant les coupures entre sanitaire et social, entre privé et public, et leurs effets négatifs, quelles que soient leurs places, choisissent de s'engager dans l'accompagnement des évolutions sanitaires et médico-sociales.

1 Contandiropoulos A.P., Souteyrand Y., « La construction de l’offre de soins », chap n°4, p 85, tiré de l’ouvrage collectif « L’hôpital stratège, dynamiques locales et offres de soins », John Libbey Eurotext, Paris, 1996.
2 Lecorps P., Paturet J-B., « Santé publique, du biopouvoir à la démocratie », Editions ENSP

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